Le jeudi 10 juin 2021, l’Assemblée Nationale a approuvé la proposition de loi visant à concilier numérique et environnement. Dans le même temps, les députés ont validé l’amendement pour étendre la copie privée aux téléphones reconditionnés, hors ESS.
Copie privée : Une redevance différenciée pour les appareils reconditionnés
Depuis des semaines, un bras de fer opposait le Ministère de la Culture et le Ministère de la Transition Ecologique au sujet de l’extension de la redevance copie privée aux smartphones et tablettes reconditionnés. La redevance pour la copie privée est un dispositif permettant de taxer les appareils neufs pouvant stocker des fichiers soumis aux droits d’auteurs et droits voisins.
Le 10 juin, la balance a penché en faveur des ayants droit, l’Assemblée Nationale a approuvé l’amendement qui vise à étendre la redevance aux smartphones et tablettes reconditionnés, jusque-là exemptés.
Plus de 2,6 millions de téléphones reconditionnés ont été vendus en 2020. Les appareils d’occasion seront soumis dès Juillet 2021 à la « rémunération pour copie privée » (RCP), mais à un taux spécifique : « ils bénéficient d’un abattement fixé respectivement à 40 % pour la première catégorie et à 35 % pour la seconde » rapporte Jean Musitelli, président de la commission, cité dans un communiqué. Les barèmes varient en fonction de la capacité de stockage de l’appareil : de 5,20 à 9,1 euros pour une tablette et de 0,30 à 8,40 euros pour un téléphone. Pour un smartphone de 64 Go par exemple, la taxe représente 12 euros pour un appareil neuf et 7,20 euros pour de l’occasion.
La redevance, pourtant déjà payée lors de l’achat du produit neuf, viendra se répercuter directement sur le prix de l’appareil reconditionné. On peut donc craindre une perte d’attractivité pour le secteur de l’occasion, en faveur du neuf (qui compte déjà 16 millions de téléphones vendus en 2020) ou de la concurrence étrangère.
La taxe sur la copie privée sur les appareils neufs en France est déjà l’une des plus élevées d’Europe, rappelle UFC-Que Choisir. La redevance sur le reconditionné ne fait pas exception, la France est le seul pays à l’appliquer, à un taux important. A l’heure actuelle, seuls la Belgique et les Pays-Bas appliquent la redevance copie privée sur les produits remis à neuf, non sur les appareils reconditionnés.
Une réduction du pouvoir d’achat importante pour les personnes au revenu modeste
L’impact du dispositif est d’autant plus lourd pour les consommateurs au revenu modeste. En effet, un téléphone reconditionné de plus de 64 Go sera taxé à hauteur de 8,4 euros, qu’il soit vendu à 100 euros ou 600 euros. Le taux de la redevance par rapport au prix des appareils d’occasion est plus élevé pour les téléphones bon marché : pour un téléphone bon marché 64 Go à 110 euros (taxé à 7,20 euros), la redevance représente 6,5% de son prix, tandis que pour un téléphone haut de gamme 128 Go à 910 euros (taxé à 8,40 euros), celle-ci correspond à 0,9% de son prix.
Une exception pour les ESS
Le texte législatif prévoit également que les entreprises du secteur social et solidaire, peu nombreuses, soient exemptées de la taxe copie privée. Cependant, ces organisations devront se conformer à loi le temps que le décret les exonérant soit approuvé.
Un incohérence face à l’ambition d’un numérique plus responsable
L’amendement a été adopté par les députés de l’Assemblée Nationale lors du débat sur la proposition de loi pour un numérique plus responsable. Ce texte a été approuvé, son objectif est de réduire l’empreinte du numérique en France, via 5 axes majeurs. Le deuxième article de la PPL vise notamment à limiter le renouvellement des terminaux, responsables de 70% de la pollution numérique.
Le recours aux appareils reconditionnés est pourtant une pratique qui contribue efficacement au développement durable, en réduisant le nombre de déchets d’équipements électriques et électroniques et en préservant les ressources naturelles et énergétiques.
Il est donc contradictoire qu’une proposition de loi visant à diminuer l’empreinte du numérique vienne contraindre la vente de produits de seconde main et le déploiement de l’économie circulaire, bénéfique d’un point de vue environnemental.
Des emplois menacés et une complexité administrative à mettre en œuvre
« Nos vies comptent au même titre que la leur, notre réalité n’est pas moins importante et notre avenir est tout aussi fragile » ont affirmé les employés du reconditionné.
Les acteurs du secteur de l’économie solidaire, spécialisés dans le reconditionnement de ces appareils, estiment que cette redevance pourrait fragiliser l’équilibre de ce marché et briser le dynamisme d’une filière fortement créatrice d’emplois.
Selon le SIRRMIET (Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms), près de 5000 emplois seraient menacés, soit la moitié du secteur du reconditionné. Pourtant, la redevance constitue un dispositif complexe à assurer administrativement et nécessitera des moyens humains et techniques.
Le débat n’est pas clos
Une deuxième lecture de la proposition de loi par le Sénat est encore prévue et des actions en justice sont en cours. Les entreprises du SIRRMIET et de Rcube, ainsi que UFC-Que Choisir envisagent de saisir le Conseil d’Etat et de déposer un recours contre la décision de la Commission Copie Privée.
Les acteurs du secteur représentés au sein du SIRRMIET demandent que des aides financières soient apportées à la filière.
L’INR se positionne contre la redevance copie privée et soutient les acteurs du secteur du reconditionné.