Tribune de Beryl Bès
Pour le collectif Be Amazonial
Le numérique est déjà au cœur de nos vies, il a révolutionné notre façon de travailler, d’enseigner, de soigner, de vivre. La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a accéléré ces phénomènes.
Il est maintenant central et ce n’est pas fini.
Aujourd’hui, nous ne pouvons pas prôner un tout numérique sans en considérer les dangers, pour nos vies et notre planète.
Ne reproduisons pas les mêmes erreurs du passé, par exemple en excluant les “autres 50% de l’humanité”, les femmes, pour construire le monde d’aujourd’hui !
Engagée depuis plus de 10 ans, jour après jour, sur le terrain, pour la place de la femme dans l’économie, je constate des progrès, les femmes assumant de plus en plus le leadership, leur ambition ou plus simplement leur légitimité et trouvant leur équilibre. Cela me réjouit tous les jours.
Les mouvements #MeToo, #UneFemme, plus récemment, permettent une prise de conscience sur certains abus et sur des actions rectificatives. Internet apporte une vraie transparence et peut avoir un rôle de lanceur d’alerte.
Pour autant, cette révolution numérique en a laissé beaucoup sur le côté du chemin. La fracture numérique est une réalité et la crise économique arrivant, il va nous falloir être combatifs
Dans un rapport intitulé « Le prix de la dignité », l’ONG OXFAM indique, jeudi 9 avril 2020, qu’entre 6 et 8 % de la population mondiale pourrait basculer dans la pauvreté alors que les gouvernements mettent à l’arrêt des économies entières afin de maîtriser la propagation du Covid-19. Cf Article du Monde.
En 2017, selon OXFAM, les femmes représentent seulement 1% de la richesse mondiale, 2% de la propriété, 10% des revenus, 66% du travail, produisent 50% de la nourriture et forment 70% de la population dite pauvre.
Simone de Beauvoir, déjà, assurait que les crises touchent plus les femmes.
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Nous y sommes !
Pour rappel, les femmes sont allées majoritairement au front dans cette catastrophe sanitaire. Elles représentent 87% des aide-soignants/aide-soignantes, 90% des infirmier.ères, 46% des médecins, 83% des enseignants/enseignantes du 1er degré, 58% des enseignants/enseignantes du 2e degré, 38% des enseignants/enseignantes du supérieur. Comme le titre le journal “Le Parisien” : n’oublions pas de leur demander leur avis pour le jour d’après !
Dans l’entrepreneuriat et l’innovation, les femmes sont également minoritaires et exclues du monde du financement. Les chiffres édifiants du Collectif SISTA sont parlants à ce sujet. Ce baromètre nous confirme que le monde de la levée de fonds des startups reste dominé par les hommes.
Les raisons sont multiples, historiques, conservatrices. Cela va encore plus loin car les biais algorithmiques accélèrent ce déséquilibre s’ils ne sont pas rectifiés. Selon le livre “L’intelligence artificielle, pas sans elles !” d’Aude Bernheim et de Flora Vincent, on peut corriger les algorithmes et les rendre plus inclusifs.
Des chartes se mettent d’ailleurs en place sur ce sujet comme le souligne cet article.
Un numérique responsable : un levier puissant pour la juste place des femmes dans l’économie, pour le bonheur de tous !
Passons aux actes et arrêtons ce gâchis.
Faisons du numérique un outil, un moyen, une solution pour une société plus inclusive et plus durable. Construisons le jour d’après avec un numérique éthique et durable qui a pris une place encore plus prépondérante avec la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.
Voici 6 axes de travail :
- Éduquer grâce au numérique pour élargir le champ des possibles pour tous
- Mobiliser des collectifs pour fédérer autour de projets durables
- Entreprendre avec le numérique
- Articuler ses temps de vie
- Trouver des métiers d’avenir
- Repenser nos organisations
Des exemples non exhaustifs dans ces 6 domaines viennent illustrer mes propos. N’hésitez pas à contribuer sur ce blog qui nous accueille.
1. Éduquer grâce au numérique pour élargir le champ des possibles pour tous.
D’après un rapport de l’UNICEF de l’automne 2019, l’inégalité des sexes démarre dès l’enfance. L’enjeu de l’éducation est primordial pour permettre à chacun d’exercer le métier qui lui correspond et se libérer de certains stéréotypes trop nombreux ou limitatifs.
Plusieurs initiatives permettent d’utiliser les outils numériques comme vecteurs de transmission du savoir, des connaissances, des mécanismes.
Evidemment, l’éducateur gardera son rôle de transmission de la curiosité, de l’utilisation, de l’analyse des connaissances, des savoir-être, de l’éthique.
Cependant, il perd la maîtrise du savoir et de la connaissance accessible aujourd’hui via Internet et qui s’enrichissent de l’apport de tous.
Cette GEN-Z ultra connectée ne demande qu’à être formée sur la sobriété numérique.
Le quizz réalisé par Be Amazonial a montré que, sur 200 réponses, 84% émanaient de femmes et 70% d’étudiantes. Ce sont les jeunes femmes qui se sentent le plus concernées par ces sujets.
Elles lancent un appel à l’aide à travers ce quizz pour une sobriété numérique !
2. Mobiliser des collectifs pour fédérer autour de projets durables
On ne peut plus négliger la force du collectif qui est la base d’une collaboration réussie. C’est notre capacité à créer, à grandir, à vivre ensemble. Le numérique a apporté au collectif une proximité augmentée, une nécessaire transparence entre nos engagements et nos actions.
Emmanuelle Duez l’exprime très bien dans son intervention sur le podcast de WeDemain.
« L’entreprise doit être plus fraternelle pour surmonter les crises” dit-elle. Sans le collectif nous n’avançons plus.
Cette crise fait émerger cette révolution verte qui se doit d’être inclusive ou ne sera pas !
Elle ne pourra pas se faire sans elles.
Ici, le numérique va être le levier, l’outil de cette relance verte et inclusive d’autant plus s’il est sobre.
3. Entreprendre avec le numérique
Selon cette étude passionnante de 2016 où le digital apparaît comme un formidable accélérateur de la féminisation de l’entrepreneuriat, des leviers à activer émergent :
- L’Innovation : le digital est par essence même un domaine ouvert à la diversité (de sexe, d’âge, d’origine,) et où chacun peut réussir. Il offre des possibilités de développement infinies aux entrepreneurs et entrepreneuses si on les incite à s’inscrire dans cette révolution numérique.
- La compétence des femmes associée à celle des hommes : les qualités dites “féminines” dans le monde professionnel, la créativité, l’agilité, l’intuition, les facilités relationnelles, en complément de qualités dites “masculines” sont essentielles dans la création et le développement d’une entreprise dans une économie en pleine mutation.
- La flexibilité : le digital permet de travailler plus facilement de n’importe où, il facilite au mieux la conciliation entre projet professionnel et vie familiale.
4. Articuler ses temps de vie
Le numérique a considérablement changé notre rapport au temps, à la distance, Des outils pour simplifier nos vies apparaissent tous les jours.
Pour autant, je pense que nous avons encore des progrès à faire sur la délégation de cette charge mentale si bien décrite par l’illustratrice Emma.
Dans les 2 derniers axes de travail que j’évoque ici, il s’agit de repenser nos métiers et nos organisations.
5. Trouver des métiers d’avenir
En tant que déléguée générale de la Fondation LDigital, j’ai travaillé sur ces sujets ces 4 dernières années.
Nous savons qu’aujourd’hui 38 % des entreprises du numérique refusent des marchés faute d’avoir les candidatures adaptées, qu’elles représentent un potentiel d’emplois de plus de 60 000 personnes en France et que les femmes sont particulièrement sous-représentées dans ces métiers du numérique.
Nous devons donc actionner ce levier économique.
Il faut convaincre les jeunes filles et leurs parents de l’intérêt de ces métiers, les femmes en conversion des potentiels de carrière et les entreprises de l’enjeu d’un numérique plus mixte.
Sur le terrain, il s’agit d’un travail de fourmi, local, territoire par territoire pour connecter tous ces acteurs pour un numérique plus inclusif et source d’épanouissement pour toutes et tous. Cet article du Monde sur le manque de femmes présentes dans l’intelligence artificielle démontre combien le risque de biais sexistes s’accroît .
6. Repenser nos organisations
Ce livre inspirant « Être un leader à l’ère du numérique » (Entreprise & Progrès – 2015) remet à juste titre l’humain au centre de nos organisations.
Mais ce n’est pas chose simple que de remettre en cause l’ordre et le pouvoir établis, « l’ancien monde ». Non seulement la répartition des rôles doit être revue mais aussi la façon de travailler ensemble.
Des pistes sont à suivre pour constituer ainsi un terrain propice à la créativité et à l’innovation dans l’entreprise, diminuer la verticalité, la concentration des pouvoirs et favoriser les organisations transverses d’intelligence collective.
Cela permettra aux femmes et aux hommes de créer de la richesse ensemble grâce à des nouveaux modèles économiques, plus collaboratifs et plus participatifs.
Bien que la catastrophe que nous traversons ait exacerbé la disparité de traitement de la mixité, on ne pourra plus négliger les avancées induites dans notre façon de travailler. Par exemple, nous ne pourrons plus entendre : “le télétravail, ce n’est pas possible pour notre organisation” :). (Voir l’article : comment le Coronavirus a réveillé l’intelligence collective)
L’avenir :
Il y a urgence, en 2025 la génération Y représentera 75% des actifs ! La Gen-Z hyper connectée, sans filtre, cash, arrive à grands pas.
Ces générations, souvent incomprises, qualifiées même d’oisives, ne manquent ni d’énergie, ni de motivation, ni d’esprit entrepreneurial.
Les organisations devront s’adapter aux « Digital Natives », qui sont d’abord en quête de sens, d’utilité. Ils ont une vision bien plus égalitaire du monde et veulent sauver la planète.
Ces nouvelles générations se sentent concernées par notre environnement et sont pour autant de gros consommateurs de numérique. Ce paradoxe nécessite de la pédagogie.
S’ouvre ainsi à tous, aux jeunes, aux moins jeunes, aux femmes, aux hommes, un extraordinaire potentiel de développement économique responsable qu’il va falloir apprendre à maîtriser pour créer de la valeur durable pour nous et la planète qui nous accueille.
A nous de rendre possible cette mutation, en mettant chacun sa pierre à l’édifice, c’est devenu incontournable par la force des choses !
Beryl Bès
Pour le collectif Be Amazonial