De la durabilité à la régénération

Philippe DEROUETTE
Manager de projets Numérique Responsable chez IT-CE (Groupe BPCE)
Directeur adjoint stratégie, financement, relation partenaires de l’INR

etoile de mer

Nous avions dit « Durable »

La révolution industrielle du XIXème siècle a ancré l’idée que la technique assurerait une croissance indéfinie et un progrès linéaire. Durant tout le XXème siècle il y a eu une prise de conscience progressive sur les effets négatifs de l’industrialisation puis de la globalisation. Dès les années 90, la révolution technique née des TIC (Technologies de l’information et de la communication) promettait une croissance prospère et la prise en compte des contraintes sociales, sociétales et environnementales. 

En 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement inventait le «Développement Durable», confirmé ensuite par le Sommet de la Terre (Rio 1992). Ce nouveau concept intégrait les préoccupations environnementales et sociales et le «développement» faisait toujours référence à la notion de croissance. Le terme « durable » stipulant une capacité à durer et à résister au temps. On peut donc caractériser le «Développement Durable» comme « une résolution visant une croissance continue en tentant de prendre en compte le vivant ».

Cet axiome allait-il se vérifier ? 30 ans après, nous convenons tous que la croissance s’essouffle, que les ressources critiques se raréfient, que leur coût d’extraction devient prohibitif, que leur raffinage impacte gravement l’environnement, que la situation des employés dédiés à ces tâches est pour le moins précaire et que la production expansive des biens n’est pas neutre dans le réchauffement climatique.

Compte tenu de ces constats, on ne peut plus objectivement « espérer » maintenir un niveau de développement aussi soutenu qu’espéré il y a plusieurs décennies. S’ajoute à cela le climat qui, devenu une préoccupation mondiale, doit être contenu à un niveau acceptable, difficilement compatible avec une activité anthropique extensive.

Aujourd’hui c’est donc le postulat même de la croissance qui se pose en dehors de tout débat idéologique. Ce qui n’est pas simple car l’économie de marché requiert de produire et de consommer toujours plus pour (espérer) maintenir le cap. 

Ce modèle devenant critique, il est temps d’inventer de nouveaux modèles économiques soutenables, permettant de maintenir un développement «acceptable», tout simplement viable et on l’espère, vivable.

La Régénération du vivant

La régénération, dite aussi parfois régénérescence, est la faculté d’une entité vivante à se reconstituer après destruction d’une partie d’elle-même. La régénération porte en elle la réparation. Elle est plus rapide, plus complète, plus aboutie que le recours à une greffe. 

Régénérer c’est restaurer, renaître, (se) renouveler.

La Régénération au secours de l’entreprise

Si à première vue dans un contexte d’entreprise, la régénération peut sembler peu attirante, peu ambitieuse voire anti-progrès, ou carrément rétrograde, elle permet au contraire, en remettant à plat les fondamentaux, de redonner du sens, de revenir à  l’essentiel, et au final de se réinventer. 

Cette refondation qui renoue avec le temps long, rebat les cartes du développement et de la croissance, réévalue la performance et réaffirme les valeurs. 

La régénération conduit à un changement de perspective qui permet de développer la  créativité, de revivifier l’innovation, de briser la course à la High-Tech, de redéfinir le concept de modernité en phase avec notre époque.

  • D’un point de vue social, elle réduit les inégalités, les disparités sociales tout en redynamisant nos productions locales et en revitalisant nos territoires et l’emploi
  • D’un point de vue environnemental, elle limite nos impacts et nos intrants, elle tempère nos besoins et donc nos achats et abaisse la production de déchets. Par le réemploi, la réutilisation et la revalorisation elle prolonge la vie des équipements et soulage la pression sur les ressources abiotiques (ressources naturelles non renouvelables)
  • D’un point de vue économique, elle permet la relance grâce à de nouveaux modèles plus sobres, réoriente la finance en investissant dans les technologies propres et renouvelables

L’entreprise, pressurée par les contraintes sociales, économiques et environnementales, se doit d’utiliser des moyens simples et moins coûteux. Elle doit exploiter ce qu’elle détient déjà pour l’améliorer, l’adapter, le faire évoluer sans réinvestir de façon trop onéreuse, sans remettre à plat toute l’expertise acquise, sans avoir à adopter de nouvelles pratiques, sans avoir à reformer les collaborateurs, ni à réinvestir dans de nouvelles compétences, expertises ou savoirs.

La survie de l’entreprise pourrait bien passer par la régénération. Pour l’y aider, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité, la Low-Tech ou encore la sobriété, la coopération et l’éthique sont des pistes à explorer.

Un projet d’entreprise

La régénération permet à l’entreprise de se renouveler, de devenir plus résiliente et de renouer avec les résultats souhaités. Elle a aussi un effet bénéfique sur l’environnement et je dirais plus largement, sur le vivant. C’est un acte qui requiert de l’intelligence collective, de la coopération, de la créativité, de  l’ouverture, de l’innovation et de l’éthique. 

Régénérer est un acte d’amélioration, de renouveau, d’économie, et d’épanouissement.

Régénérateur est plus porteur que durable

En mai 2019, le réseau ReGenFriends a publié un rapport historique sur la consommation intitulé « The Emerging Regenerative Customer » (Le consommateur régénérateur émergeant) qui montrait dans une enquête que les marques « régénératrices » commençaient à être préférées aux marques dites « durables » (attribut considéré comme trop passif). A lire : https://www.ladn.eu/entreprises-innovantes/case-study/capitalisme-regeneratif-sauver planete/

La régénération crée des opportunités

Navi Radjou, théoricien de l’innovation frugale (JUGAAD) estime que « si elle sautait le pas,  la France pourrait entraîner le monde dans une économie bas carbone et régénératrice qui devrait générer 26 000 milliards de dollars de profit économique et créer plus de 65 millions de nouveaux emplois « verts » dans le monde à l’horizon 2030 ».

Une initiative annonciatrice

Pour son édition 2021, le salon Produrable, plus grand rendez-vous européen des acteurs et des solutions de l’économie durable a fixé le thème de la régénération. Ce choix éditorial revigorant est sans doute un présage pour les tendances à venir.

Le passage de la Durabilité à la Régénération

Depuis plusieurs décennies nous misons sur des systèmes dégénératifs qui produisent des effets positifs à court terme mais qui détraquent inexorablement le vivant (l’environnement, les humains…) et qui ruinent l’économie. 

Nous nous rassurons en poursuivant cette quête de durabilité mais il faut se rendre à l’évidence que ce modèle n’est pas viable et génère de profonds déséquilibres. Nous devons d’abord régénérer, puis stabiliser et ensuite décider du modèle pérenne à mettre en place sur le long terme.

Pour succéder au concept de « Développement durable », je proposerais donc : « Elan Régénérateur » ou « Essor régénérateur ».

L’urgence à prendre le virage de la régénération

Depuis 1971 l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) a montré que suivant les lois de l’entropie (2nd principe de la thermo dynamique), produire et consommer toujours davantage est de plus en plus coûteux économiquement et épuise irrémédiablement les ressources (minerais, énergies fossiles etc.). 

Par ailleurs il craignait le dévoiement du concept de « Développement Durable », trop orienté technique et visant une croissance infinie, sans prendre en compte l’éthique et les politiques publiques sur l’écologie. Il privilégiait les changements qualitatifs à la croissance et avait une approche bioéconomique. Pour lui, l’économie devait servir le vivant et non pas l’inverse (cas de la croissance verte).

Forts de ces enseignements qui reviennent en force 50 ans après, la régénération est un moyen de se recentrer sur le vivant, de maîtriser l’économie, de réduire les impacts et l’assèchement des ressources non renouvelables. Certains visionnaires (comme Navi Radjou) estiment que nous avons juste 10 ans pour « régénérer le monde ». 

Inspirons-nous de la bioéconomie et commençons sans délai.

La vision de l’INR

L’INR (Institut du Numérique Responsable) l’a anticipé dès 2019, en l’inscrivant dans son motto : « Pour un numérique plus régénérateur, inclusif & éthique ».