Tribune issue de smartcitymag
Une tribune rédigée par Vincent Courboulay, maître de conférences HDR à La Rochelle Université, directeur scientifique de l’Institut du Numérique Responsable.
Le rôle des
élus est d’inscrire leur territoire dans une politique qui aura encore
du sens dans trente ans ; ils doivent aujourd’hui faire face à une
double injonction. La première se fait chaque jour plus pressante : elle
consiste à inscrire les collectivités dans une démarche durable afin de
permettre aux citoyens d’espérer vivre dans un territoire résilient. De
nombreux exemples existent : territoires zéro chômeur, déchet, carbone,
etc…
La seconde injonction consiste à faire de nos territoires des
villes ultra-connectées et servicielles, connectant des volumes énormes
de donnéespour améliorer lesdits services, toujours plus déshumanisées
et soi-disant garants d’un futur radieux. Notre monde qui paraissait
immuable, s’effondre pour laisser place à un nouveau, tourné vers le
durable et le numérique. Dans les deux cas, la plupart des citoyens et
élus sont seuls, tant les changements sont rapides.
Le poids du numérique
Aujourd’hui, rares sont ceux qui osent remettre en question la
nécessité d’œuvrer en faveur de territoires durables. Encore plus rares
sont ceux qui connaissent les réels impacts du numérique sur leur bilan
environnemental. Et pourtant… Les derniers chiffres font état d’une
contribution mondiale du numérique à environ 5 % des émissions des gaz à
effet de serre et à presque 10 % de la consommation énergétique. Autant
que l’aviation civile pour le premier chiffre, et en augmentation
régulière pour le second. Gros consommateur donc, sans pour autant que
des règlementations ne lui imposent des remédiations. Et je ne parle pas
des impacts environnementaux, sociaux et géopolitiques liés à
l’extraction des matières premières, à la fabrication des matériels
jusqu’à la gestion de leurs déchets.
Mais ce n’est pas tout. Face à
des défis sociétaux tels que l’intelligence artificielle, la robotique
ou la voiture autonome, les collectivités sont confrontées à des
injonctions d’excellence et sont démunies face à leurs conséquences.
Dans tous ces cas, une image idyllique présente ces technologies
vertueuses pour l’environnement, voire nécessaires pour diminuer les
émissions globales de gaz à effet de serre. Mais aucune preuve n’a
jusqu’à maintenant été apportée.
A l’inverse, Intel annonce que le
volume de données générées chaque jour par une voiture autonome sera de
4To. Le MIT déclare que tout entraînement de modèle d’intelligence
artificielle émet autant d’émissions de gaz à effet de serre que 5
voitures pendant toute leur vie. Certains chercheurs présentent une
vision particulièrement pessimiste de la robotisation des sociétés. Des
études annoncent une perturbation de l’ordre de 30 % des prévisions
météos en cas de déploiement massif de la 5G, et la liste est longue.
Est-ce cela, la smart city résiliente et connectée souhaitée par les
élus ? On peut en douter.
Quelles solutions ?
Compte tenu des enjeux évoqués précédemment, apporter des réponses concrètes et surtout complètes à ces questions est crucial. Quelles technologies numériques vont consommer le moins de ressources sur leur cycle de vie complet ? Quelles technologies vont vraiment être utiles aux citoyens et œuvrer à un monde plus durable, ici, en Europe, mais globalement dans un monde fragile sans frontière ?
Quelques concepts émergent malgré ces chants de sirène : low tech, sobriété, résilience, coût total de possession, analyse du cycle de vie… Des acteurs tant publics que privés s’en emparent et en font un vecteur de développement de leurs territoires, voire de leurs modèles économiques.
Aujourd’hui nous sommes à la croisée des chemins ; sobriété numérique et high tech peuvent encore être conciliables, c’est ce que l’on appelle le numérique responsable. Nous sommes donc à l’heure du choix. Or, ne pas choisir reviendrait de facto à choisir un futur high tech chimérique et qui nous conduirait encore plus rapidement dans une impasse. Une impasse connectée peut-être, mais une impasse quand même.
Vincent Courboulay